Le cannabis : facteur de risque à l’apparition de bulles dans les poumons
L'ihnalation chronique à moyen et long terme engendre des symptômes respiratoires et un déclin accéléré du fonctionnement pulmonaire à la suite, par exemple, de bronchite chronique. Le mode d’inhalation spécifique au joint serait, quant à lui, responsable d’emphysème pulmonaire et de l’apparition de bulles dans les poumons.
L’emphysème pulmonaire bulleux, le principe
Les fumées contiennent de nombreuses substances toxiques. Piégées dans les alvéoles pulmonaires, celles-ci induisent localement une réponse inflammatoire qui, si elle est chronique, peut détériorer le tissu élastique de soutien des alvéoles. Perdant de leur élasticité, ces dernières se distendent excessivement, ce qui conduit les poumons à se dilater globalement et ce, de façon irréversible: c’est l’emphysème pulmonaire.
La personne respire de plus en plus difficilement, car l’amplitude de ses mouvements respiratoires est gênée. La perte d’élasticité des tissus conduit encore les parois des bronches à se fermer à l’expiration, provoquant la séquestration d’une quantité anormale d’air dans les poumons.
Le tabagisme (et la pollution atmosphérique lorsqu’elle touche les fumeurs) est la cause principale reconnue de la majorité des emphysèmes.
Lorsque le tableau clinique s’aggrave, et que les parois alvéolaires sont détruites, les alvéoles auparavant fonctionnelles se transforment progressivement en bulles vides qui ne remplissent plus leur rôle. On parle d’emphysème bulleux.
Les bulles, d’une taille généralement supérieure au centimètre, peuvent être dispersées ou concentrées dans certaines régions spécifiques aux poumons.
Ces bulles présentent un risque de rupture. Lorsqu’il a lieu à la surface pulmonaire, cet accident cause la pénétration d’air entre les deux feuillets de la plèvre, c’est-à-dire la membrane séparant les poumons (on parle de pneumothorax), ou dans le médiastin, c’est à dire l’espace située entre les deux poumons (on parle de pneumomédiastin).
Les cas d’emphysèmes bulleux observés
Il existe au moins une quarantaine de cas ([1] à [8]) de pneumopathies bulleuses associés à la consommation de cannabis qui sont documentés dans la littérature. Ces cas globalement peu nombreux concernent l’endommagement des lobes pulmonaires supérieurs alors que les tissus inférieurs restent relativement préservés.
Les tests pulmonaires (évaluation de la fonction respiratoire) effectuées dans le cadre de ces études ne montrent pas forcément de diminution de la capacité pulmonaire. De la même façon, les radiographies de poitrine sont incapables à diagnostiquer la pathologie.
Les personnes viennent en consultation hospitalière pour des difficultés respiratoires (dyspnée), des pneumothorax ou des pneumomédiastins (vives douleurs dites « en coup de poignard » ressenties à la poitrine) ou dans le cadre d’infections pulmonaires.
Les bulles d’emphysèmes sont mises en évidence par tomographie haute résolution (CT scan).
La plupart des personnes concernées sont des adultes plutôt jeunes, d’âge inférieur à 45 ans. Cette observation peut s’expliquer par la diffusion massive du cannabis chez les jeunes depuis une vingtaine d’années. Des travaux soulignent que cette pathologie est observée chez des patients –fumeurs quasi exclusif de marijuana- 20 années plus tôt que chez des fumeurs de tabac [5].
Des contradictions apparaissent dans les études. Beshay et coll. [6] comparent l’apparition de bulles pulmonaires et les marques d’emphysème chez des patients venus consulter pour des pneumothorax et qui ont consommé pendant une période similaire, soit du cannabis et du tabac, soit des cigarettes uniquement. L’apparition d’emphysème et de grosses bulles (diamètres compris entre 0,3 cm et 12 cm) est probante chez les premiers et quasi absente chez les seconds (présence de bulles inférieures à 1cm de diamètre sans emphysème significatif). Il est tentant de conclure à la responsabilité du cannabis dans l’apparition de ces pathologies.
Des études ([9], [10]) montrent, d’après les tomographies, que les fumeurs de cannabis présentent fréquemment une hyperinflation des poumons consécutive à une distension pulmonaire, cependant les bulles d’emphysème sont plus rares chez eux [10] que chez les fumeurs de tabac ou de tabac et cannabis associés.
Cette contradictions est apparente et s’explique si on prend en compte la notion de dose/effet dans ces observations. La plupart des cas d’emphysèmes bulleux rapportés l’ont été chez de gros consommateurs de cannabis. Dans la plus grande série de patients recensés présentant un emphysème bulleux (17 patients en deux ans, [6]), la consommation moyenne était de 54 joints-an (6,5 joints par jour et pendant 8,5 années).
Bien que le cannabis soit répandu, une telle consommation l’est moins. Même dans les plus grandes cohortes étudiées, il y a peu de consommateurs de la sorte. Dans l’étude de Hancox [9], aucun consommateur –âgé au plus de 32 ans- n’a ainsi accumulé plus de 30 joints-an. Tandis que dans l’étude d’Aldington et coll [10], le seul patient présentant un emphysème macroscopique avait une consommation de 436 joints-an.
Le développement de bulles est une complication rare et le nombre de cas reportés est faible (un cas sur 1000 d’après des études épidémiologiques [11]). En comparaison, l’utilisation du cannabis est répandue. L’association des deux peut ne résulter que d’une coïncidence. Pour connaître la prévalence de ce risque et son incidence, des études épidémiologiques supplémentaires sur la population consommatrice de cannabis sont nécessaires.
La littérature suggère que les gros consommateurs de cannabis sont susceptibles de développer des emphysèmes bulleux ([12], [13]). Les fumeurs de cannabis qui associent cette drogue au tabac (ce qui est souvent le cas) se voient exposés à un risque plus important de pneumopathies bulleuses par addition des effets des deux substances. |
Le mode d’inhalation du cannabis en cause dans l’apparition des bulles
Pour expliquer l’apparition d’emphysème bulleux chez les fumeurs de cannabis alors que la fonction respiratoire semble conservée, les experts suggèrent un mécanisme différent –non compris totalement- de celui invoqué chez les fumeurs de tabac (inflammation centrale et obstruction des voies aériennes).
La méthode d’inhalation particulière du cannabis est mise en cause. L’aspiration du cannabis se fait par bouffées profondes. Les fumeurs de cannabis retiennent leur souffle quatre fois plus longtemps que les fumeurs de tabac et augmentent leur volume pulmonaire de 70% en moyenne. L’exposition des alvéoles pulmonaires aux particules inhalées à haute température est de la sorte très importante et peut engendrer une inflammation de ces dernières, alors fragilisées [13].
A cela viennent s’ajouter les manœuvres de Vasalva opérées par les consommateurs en fin d’inhalation. Ces expirations forcées, bouches et nez obstrués, ont pour objectif -ce que pensent à tort les opérateurs- d’amplifier l’effet psychotrope du THC en augmentant sa diffusion à travers les bronches. Cependant leur conséquence majeure est de créer des barotraumatismes dans les cavités alvéolaires, cause potentielle de leurs ruptures. Cette hypothèse a été formulée suite à l’observation de plusieurs cas spontanés de pneumothorax et pneumomédiastins ([14], [15], [16]).
S’il est fumé, sous forme de joint ou dans une pipe, le cannabis peut être encore inhalé grâce à une pipe à eau ou un vaporisateur, les deux dernières techniques étant potentiellement moins toxiques. A notre connaissance, à ce jour aucune étude n’existe qui s’intéresse à l’impact de ces modes d’inhalation différents sur le fonctionnement pulmonaire.
(Auteur : C.Depecker)
Références
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